FROGIER ACCEPTE LE DRAPEAU KANAK

2010 – Les Nouvelles Calédoniennes

Pierre Frogier, chef de file d'un Rassemblement à l'image plutôt conservatrice, n'en finit pas de surprendre. Après l'Entente républicaine qu'il imagine en « nouvelle force politique », après sa proposition institutionnelle d'emmener la Calédonie « aux confins de l'autonomie », il évoque aujourd'hui la possibilité d'admettre comme gage de futur partagé, au côté du drapeau français, un drapeau indépendantiste « débarrassé des violences ». Une initiative qui bouge des lignes, à quelques semaines du comité des signataires.

Les Nouvelles calédoniennes : Faut-il ou non ouvrir des discussions politiques dès ce comité des signataires d'avril ? Les avis sont partagés. Quel est le vôtre ?
Pierre Frogier : Les vœux du président de la République sont clairs. Il nous engage à ouvrir les discussions, entre Calédoniens, et bien avant 2014. Le comité des signataires est, bien évidemment, le lieu privilégié pour définir le calendrier de ces discussions entre nous avec l'appui de l'État. C'est à ceux qui, comme moi, ont signé les accords Matignon-Oudinot et l'accord de Nouméa de se retrouver pour élaborer, définir, proposer une solution d'avenir. Pourquoi attendre le dernier moment ? Il faut s'y mettre dès maintenant.

En mettant quoi sur la table du débat ?
Pour ce qui me concerne, j'ai déjà fait des propositions. Après les provinciales de mai, en tant que responsable de la principale force politique, j'ai pris l'initiative de l'Entente républicaine, pour rassembler tous ceux qui veulent le maintien de la Calédonie dans la France. En octobre, j'ai formulé une proposition de solution institutionnelle. La Nouvelle-Calédonie, dans des liens refondés avec la République, pourrait exercer un maximum de compétences de gestion, dans une très large autonomie, et consentir librement à ce que la République française continue d'assumer l'exercice des compétences régaliennes. C'est une solution qui mènerait la Calédonie aux confins de l'autonomie et qui pourrait être acceptée par ceux des indépendantistes pour qui l'indépendance est une recherche de dignité, une revendication identitaire et culturelle, plus qu'une volonté de sécession ou de rupture d'avec la République.
C'est ma responsabilité aujourd'hui de porter cette vision, cette ambition, ce projet d'avenir. De concrétiser notre vivre ensemble et bâtir notre destin commun. Pour ma part, je ne peux me résoudre à me contenter de déclarations d'intention et à en rester à un projet. Je veux le porter et m'engager sans réserve dans sa réalisation.

Vous évoquez la question identitaire, mais elle n'avance pas. Hymne et devise ne sont toujours pas passés au Congrès, la question du drapeau divise. Comment discuter d'un avenir partagé si l'on ne sait même pas régler cela ?
Depuis quelques semaines, j'ai mené des échanges avec l'ensemble des signataires, en particulier avec nos partenaires indépendantistes. Pour eux, la question des signes identitaires, celle du drapeau en particulier, est déterminante. J'ai donc décidé d'en parler, même s'il s'agit là d'un sujet très passionnel.
Un drapeau, on le sait, c'est un symbole très fort. C'est un signe de reconnaissance, de légitimité, un signe historique.
Nous voulons, nous, que le drapeau bleu blanc rouge continue de flotter partout en Nouvelle-Calédonie, que la France garde ses compétences de souveraineté. Ça a été depuis toujours, ça reste et ça restera le sens de mon combat politique. Je sais que les indépendantistes sont très attachés au drapeau qui les a accompagnés dans tous leurs combats. Mais nous, nous ne nous reconnaissons pas dans ce drapeau. Il est pour nous un signe de division et d'exclusion, l'emblème d'une violence qui renvoie à la période des Evénements. Il suscite encore un fort rejet dans la population, et notamment chez ceux qui ont vécu cette période sombre de notre histoire récente, et qui en ont souffert.

Alors, insurmontable ?
Depuis la signature des accords de Matignon, nous avons tourné la page de la confrontation violente. Or le drapeau indépendantiste, lui, est resté. Il flotte sur les édifices publics de la province Nord et de la province des Îles, même si je constate que, depuis quelques années, le drapeau bleu blanc rouge flotte de nouveau à côté de lui. Maintenant que les indépendantistes ont tourné la page de la violence, quel sens donnent-ils à leur drapeau ?
Pour que nous puissions l'accepter, ils doivent lever toute ambiguïté et nous l'apporter comme un signe identitaire, un symbole culturel, débarrassé des violences dont il est entaché. Il pourra alors être ce signe identitaire : représenter cette part de la Nouvelle-Calédonie mélanésienne et océanienne indissociable de son identité européenne et française.
Ainsi, en additionnant nos deux légitimités, nous aurons fait un nouveau pas les uns vers les autres et nous pourrons engager des discussions, sans arrière-pensée, pour bâtir en confiance notre avenir commun.
C'est donc aux indépendantistes de nous dire si cette vision est la leur, et ce que représente ce symbole aujourd'hui. C'est à eux de faire en sorte que nous puissions l'accepter, à côté du drapeau de la République, auquel il ne pourra en aucun cas se substituer.

Réconciliation des loyalistes, « confins de l'autonomie », drapeau : pourquoi avoir attendu si longtemps pour ces ouvertures que vos bases pourraient de ne pas comprendre ?
C'est une réflexion qui m'occupe depuis des années. C'est pour moi l'aboutissement d'un long cheminement. Mais j'ai la conviction que cette démarche aurait pu être proposée plus tôt. Car accepter ce drapeau, c'est aussi reconnaître que Jean-Marie Tjibaou a payé de sa vie son engagement dans les accords de Matignon qui ont apporté la paix.
Je mesure parfaitement les risques que je prends en faisant ces propositions. Il n'y a chez moi aucun calcul. Ma motivation, mon ambition, mon obsession, c'est de nous donner toutes les chances de parvenir à cette solution institutionnelle qui permettra d'inscrire enfin définitivement la Nouvelle-Calédonie dans sa destinée.

Henri Lepot

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